Il y a quelques mois, les muscles se sont raidis de nouveau, des cervelles ont volé en éclats. Les regards se sont fait sombres, et des mots acérés ont fusé, secs comme des raisins :
- We want to go there to bring a change
- Are you bringin’in any weapon? (voix rauque)
- But… no of course! We’re pacifists!
- Then you will not change anything… (voix rauque et conclusive)
(Quelque chose comme ça… Je ne suis plus sûr que des répliques 2 et 4…)
John était de retour. Occupé à capturer des grenouilles et des crocodiles à main nue dans la région de Maesot, accompagné de son fidèle écuyer Thomas K., il avait finalement trouvé la paix. Mais, tels ces pauvres moines grecs soumis aux affres de jeunes touristEs ayant par erreur pénétrées sur les terres de leur beau monastère du Mont Athos (violant ainsi un article de la constitution grecque qui ne l’avait pas été depuis plus de mille ans), il a subi les affres du beau sexe. Son regard a été capturé par une belle humanitaire, décidée à gagner avec ses coéquipiers quelque village de Birmanie soumis aux jeux pour le moins vils et sournois de la junte militaire au pouvoir – lancer des mines dans une rizière avant d’y envoyer courir d’innocents villageois…
Capturés avec tout leur barda par un capitaine plus sadique qu’une Laurence Boccolini en plein Maillon Faible, ces insouciants humanitaires n’ont plus qu’un espoir. Celui-ci est fort, il est beau (enfin, pas tant que ça), il sent bon le sable chaud et aussi un peu le cafard grillé. John Rambo is back, et il va tout faire péter comme en 40, en Afghanistan ou au Vietnam…
« Nous avions tellement peur, nous mettions le son au minimum ; et on éteignait la télévision au moindre bruit! »
Un peu décontenancé, j’écoute cette dame, la quarantaine bien arrivée, me raconter son histoire… Nous sommes à Kawthaung, la ville birmane la plus au sud du pays. On peut y venir facilement depuis celle de Ranong en Thaïlande. Une demi-heure de bateau et deux ou trois postes-frontières suffisent. De petites îles appartenant à la Birmanie – aussi appelé Myanmar mais la dispute linguistique reste vive - s’étalent devant nous. De nuit, des bucherons vont y couper illégalement du bois, à leurs risques et périls : l’armée n’hésite pas à ouvrir le feu si elle les surprend. C’est qu’il faut bien du bois pour alimenter les scieries thaïlandaises. Et pour donner un peu de travail aux nombreux immigrés illégaux qui y travaillent, vivent à proximité et n’ont d’autres refuges que des taudis en bois et l’alcool.
« Vous savez, je ne pouvais pas m’empêcher de regarder. »
Arrêtons-nous ici un instant : alors que des producteurs ont accouché de séries télévisuelles aussi matures, engagées et réfléchies que PBLV (Plus Belle la Vie bien sûr) ou Sous le Soleil, cette dame a risqué entre 6 et 12 ans de prison pour regarder le dernier (John) Rambo… Quelques années de prison, c’est en effet le tarif pour quiconque est pris en Birmanie à regarder ce film qui circule sous le manteau. Vous conviendrez avec moi que c’est un peu cher pour visionner 1h30 durant des scènes de réel carnage, où John arrache des gorges à main nue et condamne à la réincarnation quelques bonnes centaines de militaires, le tout avec des dialogues à peine plus riches que ceux des premiers films de Chaplin…
Notre monde n'est-il pas plein de poésie ? Les critiques contre le régime qui les opprime sont si engagées que des mères de famille ne peuvent résister à la tentation de regarder John Rambo dézinguer, découper, égorger et démembrer tout ce qui passe à portée de ses puissantes mains, calleuses à force d’étouffer des crocodiles et de peler des ramboutans ? (« Quand Rambo pas content, lui toujours faire ainsi »). En pleine nuit devant leur téléviseur mis en sourdine, elles goutent au vent de liberté que fait souffler un Sylvester Stallone à son plus haut niveau de testostérone… Il y avait Charlot dans Le dictateur, il y a aujourd’hui John Rambo dans son film éponyme.
Some months ago, muscles tensed up again, brains were splattered all around. Eyes became hard, wild and glassy all of a sudden, and words sharp as knives were thrown, dry as raisins:- We want to go there to bring a change- Are you bringin’in any weapon? (husky voice)- But… no of course! We’re pacifists!- Then you will not change anything… (husky voice leaving no choice but silence as an answer)(Something like this… I am only confident about the 2nd and 4th sentences…)John was back. He had found peace, trapping frogs and crocodiles with bare hands in the Maesot area, bearing only the presence of his faithful companion, Thomas K. But, like poor Greek monks facing the torments brought by young female tourists walking by mistake on the sacred lands of Mount Athos (breaking an article of the Greek constitution that had been enforced for more than a thousand years), he has faced the torments of male weaknesses. His eyes have been captured by a pretty NGO staffer willing to reach a lost village in Burma with her team. Burma, where a military junta enjoys simple and healthy activities such as throwing mines in a rice field before forcing innocent villages to run through…Captured by a military captain with sadistic tendencies only matched by TV anchors in charge of the “The Weakest Link”, these naïve humanitarians have only one hope left. He is strong, he is handsome (well… not that much), he smells good like hot sand (for those of you who would find this strange, it relates to a song by Serge Gainsbourg, “The Legionary”), but also like grilled cockroach. John Rambo is back, and he is going to blow whatever needs to be blown, just like in the good old days in Afghanistan or Vietnam…“We were so scared; we turned the volume down to the minimum. And we would turn off the TV as soon as we heard the slightest noise!”I feel a bit discombobulated (isn’t it a nice English word?! I just discovered it! ^-^) as I listen to the 40-something lady telling me her story. We’re in Kawthaung, Burma’s southernmost city. A city that is easy to reach from Ranong in Thailand: half an hour by boat and a few border checkpoints are all what it takes. A few small islands belonging to Burma – also called Myanmar in the midst of an international linguistic dispute – are scattered in front of us. At night, lumberjacks go there to cut wood illegally; this is dangerous business, as being discovered by the army means being shot at rather than just arrested… But wood is needed to keep Thai sawmills open, and to give work to the numerous illegal migrant workers who live nearby, finding refuge in slums and alcohol. “You know, I could not resist the temptation of watching this movie.”Let’s stop here for a while: despite the fact that TV channels have produced such mature, committed and intellectual programs as “Date my Mom” or “Pimp my ride”, this lady risked between 6 and 12 years of jail to watch the latest (John) Rambo… A few years of jail, that is indeed the fare for whoever is caught in Burma watching this illicit movie. I think you’ll agree with me that this is a bit expensive to witness 90 minutes of scenes of true carnage, where snappy John tears off throats with his bare hands and condemns hundreds of brainless militaries to reincarnation, all this wrapped in dialogues only slightly richer than those of the first Charlie Chaplin movies…Aren’t we living in a world full of poetry? The criticisms against the Burmese regime that oppresses them are so vivid and committed that some mothers cannot resist the temptation to watch John Rambo machine-gun, cut the throat of or dismember whatever comes in reach of his powerful hands, calloused by the smothering of crocodiles and the peeling of hairy litchis. In the darkest hours of the night, in front of their mute TV set, they feel the wind of freedom blown by a Silvester Stallone at his highest level of testosterone. There once was Charlot in the Great Dictator, today there is John Rambo in the eponymous movie.