vendredi 11 juillet 2008

Du remplissage des prothèses de locomotion autotractées… (About the filling of self-towed locomotion prosthesis…)

Vous vous appelez Magali, Anne ou Céline – ou encore Ignace ou Perséphone – et vous êtes ergonome. Ergonome spécialisé dans les interfaces homme-machine, du côté afférences des prothèses de locomotion autotractée. Dans le langage de l’homme de la piste – bien plus courant au Laos que celui de la rue –, vous disposez des sièges dans une voiture pour qu’on puisse s’asseoir dessus (j’ai fait ergonome en 2nde longue vivante, je peux faire la traduction).
Vous aimez votre métier, et passez de longues heures à soigner les dimensions de vos interfaces – pardon sièges - à la morphologie dorsale humaine. Pour vous, il n’est qu’une seule religion, qu’une seule chose sûre en ce bas monde : 1 siège, c’est 1 paire de fesses, et pas 2…

8h30 - Le chauffeur laotien vous regarde. Il vous regarde avec attention, et à l’évidence avec sympathie, mais il ne vous comprend pas. Vos gesticulations et vos implorations le dépassent. Il faut dire que l’ergonomie est un concept assez récent au Laos, pour ne pas dire inexistant. Vaste et profond est le fossé culturel qui vous sépare en cet instant. En effet, plutôt pour lui que de se perdre en réflexions interfacielles, il est plutôt temps d’effectuer le trajet Tha Khek-Savannakhet, celui auquel il se consacre habituellement. Pour remplir sa tâche, il dispose d’un petit van de 12 places, avec 4 rangées de sièges. Au volant de sa prothèse de locomotion autotractée, il a l’habitude de naviguer entre les buffles, les vaches et les poulets pour amener sa clientèle d’un marché à l’autre. Les passagers arrivent généralement par petites vagues, entassent quelques bagages sur le toit, et s’installent à l’intérieur de l’habitacle…

Vous abaissez vos paupières et vous remémorez les incroyables événements qui viennent de défiler devant vos yeux...

8h15 - 11 passagers ont déjà manifesté leur volonté d’accompagner le chauffeur. Vous avez soupiré d’aise : vous n’allez même pas avoir à attendre jusqu’à la demie pour entamer votre périple. Curieusement toutefois, le chauffeur n’a pas semblé l’entendre de cette oreille…
8h18 - Un nouveau voyageur s’est fait connaître, qui s’est installé à côté des 3 voyageurs de la rangée de sièges du fond. Vous avez senti votre glotte faire péniblement un aller-retour dans votre gorge : mais comment se sont-ils assis ? Le postérieur entre deux sièges ?
8h19 - Vous avez à peine eu le temps de calmer votre respiration, qui s’était faite haletante, que deux autres candidates à la traversée se sont avancées. Pour s’installer sur le toit ? Non ! Elles sont venues se caler sur les 2ème et 3ème rangées…
8h23 - Une éruption cutanée a vu le jour sur vos avant-bras sous l’effet du courroux. Déjà 15 personnes dans le véhicule !
8h26 - Vous avez une première fois renoncé à vos sens visuels pour vous soustraire à l’innommable…


8h42 - Le van s’ébranle lourdement. 1 grand-mère, 1 femme dans la force de l’âge et un jeune homme sont venus compléter l’équipage. Ils ont trouvé à se glisser dos à la route devant les passagers de la 2nde rangée de sièges. Votre tête tourne, peuplée de schémas ergonomiques défaillants :


Entasser plus pour gagner plus… Un passager de perdu, dix de retrouvés… Il ne faut pas vendre la peau du passager avant de l’avoir tué. Vertiges…

La conduite est lourde. Quand un troupeau de ruminants se dresse en travers du passage, le freinage est douloureusement long. Vous croisez un groupe de laotiens occupés à faire entrer 23 chevaux dans une deux-places, sous l’œil d’un jury en habits du dimanche. Vous voulez leur crier qu’ils n’ont pas compris, que le record français est en fait de 22 personnes dans une deux-chevaux et non l’inverse, mais votre chauffeur a le pied rivé au plancher. Votre voix se perd dans le brouhaha de l’asphalte rongée par les aspérités des pneus du véhicule… Peut-être tout cela n’est-il qu’un vaste concours, un reste de l’époque coloniale et de ses exploits surannés ?

Las ! L’ergonomie, cette science destinée à soigner les hommes, oublie parfois l’essentiel. C’est l’arrêt à la pompe à l’entrée de Savannakhet qui vous ramène à la raison, juste après que votre chauffeur a collecté de ses clients les fonds nécessaires pour remplir le réservoir. Le prix de l’or noir ces jours-ci a raison de l’ergonomie fessière. Si votre conducteur n’entassait pas ses passagers avant de s’installer au volant, sa petite entreprise irait vite à volo… Une défaite de plus de la science face aux dures lois économiques…


Your name is Shakira, Britney or Beyonce – or Persephone or Ignacio – and you’re an ergonomist. An ergonomist specializing in human-machine interface, on the side of the afferences of self-towed locomotion prosthesis. In the words of the man of the track – who one meets much more frequently in Laos than the man of the street –, you arrange seats in a car in order for passengers to sit on them (since I studied ergonomics as a second language, I can provide an approximate translation). You like your job, and happily spend endless hours to carefully adjust the dimensions of your interfaces – sorry, seats – to the dorsal human morphology. For you, there is only one religion, only one thing that one can take for certain under the Sky: one seat is made for one butt, not two…

8h30 – The Laotian driver looks at you. He looks at you carefully and obviously with sympathy, but he doesn’t understand you. Your gesticulations and supplications are just too hermetic for him. Well, it should be here reminded that ergonomics is a rather new concept in Laos, if not still inexistent. Large and deep is the cultural gap that separates you at this very moment. Indeed for the driver, rather than time to lose himself in interfacial thoughts, it is time to leave for the journey between Tha Khaek and Savannakhet, the one he daily takes care of. To achieve his mission, he owns a small van with 4 rows of 3 seats. At the wheel of his self-towed locomotion prosthesis, he is used to drive between buffaloes, cows and chicken to bring his customers from one market to the other. Waves of customers usually arrive one after the other at his vehicle, pile some luggage on the roof and take their seats inside the passenger cell…
You close your eyelids and remember the unbelievable events that have just unfolded in front of your eyes…

8h15 – 11 passengers have already made known their wish to go with the driver. You sigh of relief: you won’t even have to wait until 8h30 for the journey to start. Curiously though, the driver doesn’t seem to reach the same conclusion…
8h18 – A new customer has arrived, who sits next to the 3 passengers on the last row. You feel your glottis go up and down uneasily in your throat: but how the hell did they seat together? Bottoms between two seats?
8h19 – There was barely enough time to calm down your breathing, panting after two new candidates for the ride came to the driver. Are they going to seat on the roof? No! They make their way to the second and third rows…
8h23 – Buttons have erupted on the skin of your forearms out of despair and wrath. Already 15 people in the vehicle!
8h26 – For the first time, you have turned off your visual senses to shield yourself from the unthinkable…

8h42 – The van starts his journey painstakingly. A grandmother, a mature woman and a young man have completed the crew. They managed to enter the cockpit by facing the passengers of the second row of seats. Your head is spinning; faulty ergonomic schemes saturate your thoughts:

(Classical style – Lao style)

Packing more to earn more… There are plenty of passengers in the sea… Don’t count your passengers before they’re hatched… Vertigo…

The driving is heavy. When a herd of ruminants appears in the middle of the way, the braking is painfully slow. Your eyes meet a group of Laotians on the side of the road. They’re busy trying to push 23 horses into a 2-seat car, in front of a jury in their Sunday best. You want to yell and tell them that they’re wrong, that the French record is in fact 22 people in a “Two Horse Power” (do you know this French car?), not the other way round. Unfortunately, the engine is roaring, and your voice is lost in the sound of asphalt eroded by the tires of the beastly vehicle (sounds like Mad Max, isn’t it? ^-^)… Maybe all this is just a contest, something left from the colonial times and their outmoded feats.

Alas! Ergonomics, this science aiming to heal Mankind’s sufferings at work, sometimes forgets what matters most. The stop at the gas station at the entrance of Savannakhet reminds you of this sad reality, a few seconds after the driver collected from his customers the fares necessary to fill up the tank. Today, the price of black gold means more than bottom ergonomics. Wouldn’t your driver cram his passengers into his van before the journey, his small business would soon be part of the past… One more defeat of science in face of the brutality of economic laws…


2 commentaires:

Cebu mate a dit…

Hilarant, fin, perspicace, drole ou touchant… voila mes premieres impressions a la lecture de ton blog qui ne doit ma visite qu’a ta pub geniale ;-) Elle m’a fait hurler de rire , et n’en a que mieux sucite ma curiosite!!! ;-)

Un blog est ne, et un de ses adeptes aussi. Je souhaite longue vie au nouveau ne, et bon courage plein d’inspiration a son papa.... il faut dire qu’apres onze mois de gestation, le jeune rejeton devrait avoir la langue bien pendue assez rapidemment ;-)

Bravo Christophe et bonne journne ;-) Hubert

Panda Mystic a dit…

Fantastique! On se croirait aux Pays-Bas un jour de grève, la lourde conduite en moins ;-)...